Entretien avec Anne-Sophie Le Gall, ancienne avocate, sur le métier de juriste en environnement : « Il faut représenter et défendre la nature »

Écrit par sur mars 15, 2021

Anne-Sophie Le Gall est avocate de formation. Elle est cheffe de projet à l’association ARIENA, œuvrant pour l’initiation à l’environnement et à la nature en Alsace. C’est après avoir démissionné du barreau de Strasbourg qu’elle décide de se consacrer à l’éducation et à l’associatif. Elle a accepté de nous en dire plus sur son métier, sa formation, et sur les réalités du droit de l’environnement en général.

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Une discipline méconnue

 » À la faculté de droit, la licence est très générale… on découvre les spécialités au bout de quatre ou cinq ans  » explique Anne-Sophie. La discipline, en plus d’être uniquement accessible tard dans le parcours de l’étudiant, peut apparaître technique et complexe. « Il y a la Charte de l’Environnement qui a été adossée à la Constitution en 2005, et quelques lois, mais sinon tout relève plutôt de l’échelle locale, c’est une matière très réglementaire  » dit Anne-Sophie. Contrairement au droit de la famille ou au droit pénal, tous deux nationaux, le droit de l’environnement dépend beaucoup des spécificités locales.

Pour être avocat spécialisé, il faut quatre ans de plus avant de passer devant un jury. « La mention de spécialité est en effet très régulée par la déontologie », précise Anne-Sophie. Mais cela n’empêche pas les avocats de pratiquer le droit de l’environnement sans en être spécialiste.

Dans les faits, « le métier de juriste en environnement est souvent très loin des préoccupations liées au changement climatique. Il est plutôt lié aux questions de pollutions des sols, de l’air, de l’eau et des déchets », explique Anne-Sophie. « On veille à mettre les structures en conformité avec la législation en vigueur sur l’environnement. »

Après avoir quitté le barreau de Strasbourg, Anne-Sophie utilise toujours le droit de l’environnement à travers l’ARIENA. « Le juriste en association défend plutôt la biodiversité, pour garder la faune et la flore le plus vert possible, » explique-t-elle. « La justice climatique n’est qu’une petite partie du droit de l’environnement. » La justice climatique, très médiatisée depuis quelques années, donne d’après Anne-Sophie une plus grande visibilité au droit de l’environnement.

Une discipline médiatisée

La justice climatique, veut mobiliser les citoyens en faisant appel à leurs droits fondamentaux. Elle « vise à faire valoir ses droits à un environnement sain et à faire prendre conscience à toute personne de ses actions et de leurs impacts sur les questions de changement climatique, » précise Anne-Sophie. Cela consiste à entamer des procédures judiciaires à l’encontre d’acteurs violant le droit de l’environnement. Un recours aux tribunaux donc, visant à faire reconnaître que ce droit existe. C’est très lié à des enjeux de justice sociale : si l’on détruit l’environnement, cela nuit à l’humanité.

Cour suprême des Pays-Bas a exigé que l’État Néerlandais réduise ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici 2020.

« La première fois que j’ai entendu parler de justice climatique  » se souvient Anne-Sophie, « j’étais en Master 1 en Australie. C’est là, à l’autre bout de la planète, que j’ai découvert l’affaire Urgenda aux Pays-Bas en 2014-2015. »

C’est une des premières affaires où l’État a été condamné pour non respect de ses obligations en matière de changement climatique. Il s’agissait d’une association, Urgenda, appuyée par 900 citoyens néerlandais. Elle considérait que l’État Néerlandais en ne luttant pas contre le réchauffement climatique mettait en danger les droits fondamentaux de ses citoyens. La Cour Suprême des Pays-Bas condamnera cinq ans plus tard l’État pour inaction climatique.

En France, en 2018, quatre organisations ont poursuivi en justice l’État pour son inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Le Tribunal Administratif de Paris devrait rendre sa décision 2021, dans ce qui s’est nommé LAffaire du Siècle. La justice climatique renverse donc le paradigme et, à travers l’outil du droit, permet aux citoyens des revendications de plus large portée.

Une discipline large

Mais au delà de la justice climatique, le terme même de droit de l’environnement peut prêter à confusion. « En France, la nature en tant que telle n’a pas de personnalité juridique. Elle ne peut donc pas se représenter elle-même devant une juridiction. Donc cela doit passer par une personne humaine  » précise-t-elle. Ainsi, il incombe à des personnes physiques ou morales de représenter l’environnement. L’État peut donner un agrément aux associations, ce qui « marque la reconnaissance de l’engagement d’une association dans un domaine particulier, ici la protection de l’environnement. »

Pour Anne-Sophie, il s’agit de « représenter et défendre la nature. » Il faudrait toutefois plus de moyens souligne-t-elle, car même si « de plus en plus d’outils sont mis en place […] il faudrait encore des moyens humains supplémentaires du Ministère de l’Environnement, afin de pouvoir mettre en place plus de contrôles dans les entreprises par exemple, » dit Anne-Sophie.

D’autres obstacles rendent la défense du droit de l’environnement complexe. « Il faut savoir qu’aujourd’hui les procédures judiciaires sont toujours très longues, environ 8 ans  » précise Anne-Sophie. Mais ces délais étaient de 10 ans il y a quelques années, ce qui, d’après elle, montre « une volonté du législateur de permettre aux porteurs de projet de construire plus rapidement et de réduire la durée des contentieux. »

Pour bien saisir les enjeux liés au droit de l’environnement, Anne-Sophie nous propose une mise en situation. Il y a, d’un côté, « un industriel voulant implanter des éoliennes. » D’un point de vue climatique, il juge que c’est une solution d’avenir. On sait que l’énergie éolienne est durable. De l’autre côté, une « association de défense du paysage et des animaux est contre cette implantation, car cela aurait un impact sur la mortalité des volatiles et dénaturera le paysage. » En matière de droit de l’environnement, les droits sont à mettre en balance et toujours sujets à interprétation.

Entretien avec Anne-Sophie Le Gall :